Le Mouvement du 20 Février, un an après

Interview déjà porté avec moi le rédacteur en chef de journal "Courrier International"



Nabil Bakani est un cinéaste marocain de 31 ans. Il s’est engagé auprès du Mouvement du 20 février, le mouvement des jeunes Marocains qui se battent dans le sillage du printemps arabe pour exiger plus de libertés, plus de démocratie, plus d’égalité sociale, le respect des Droits de l’homme et la lutte contre la corruption. A l’heure de l’anniversaire du Mouvement, il a accepté de répondre à nos questions le rôle d’Internet dans la protestation et l’avenir du Mouvement. 
Vous êtes président du festival du printemps du cinéma au Maroc. Comment se déroule ce festival ? Quel genre de film diffusez vous ? Vous laisse-t-on libre de vos choix ?

En septembre dernier, j’ai gagné au festival du film arabe de Rotterdam (Pays-Bas) le deuxième prix pour un petit documentaire, intitulé “Le printemps de la répression et de la dignité”. Je suis rentré au Maroc convaincu de la nécessité de créer une association autour du cinéma pour préparer un festival national qui reflèterait le changement dans le monde arabe. Nous avons donc choisi pour nom le “Printemps du cinéma”. Nous préparons une caravane qui proposera des ateliers et des formations cinéma aux jeunes, c’est la première étape pour créer ce festival. Nous nous intéressons et nous souhaitons diffuser les films qui abordent les questions politiques, économiques, sociales, les problèmes des enfants et des adolescents, l’usage de la violence contre les femmes et la nécessité de leur émancipation et de leurs droits politiques. Actuellement, nous essayons de conclure des partenariats, par exemple avec le Festival du cinéma africain, dans le but de trouver des financements. Mais c’est le plus dur.
Le cinéma et votre festival peut-il jouer un rôle dans la contestation ou dans la diffusion d’idées démocratiques au Maroc ?
L’organisation “Printemps du cinéma” n’est pas une organisation politique. Mais je veux sensibiliser les Marocains aux questions politiques et sociales de construction d’une démocratie et de l’égalité au sein de la société en discutant de ces sujets à travers le cinéma.
Quel est votre rôle, votre place au sein du Mouvement du 20 février ?
En septembre dernier, j’ai été choisi pour diriger une antenne du mouvement et j’ai été affecté pour travailler sur la communication du mouvement, notamment auprès des médias.
Qui constitue le Mouvement du 20 février ? On y compte beaucoup de jeunes, mais y’a-t-il des chômeurs, des enseignants, des cadres ? Y’a-t-il des femmes ? Quelle est la moyenne d’âge ? Y’a-t-il beaucoup de diplômés ?
Le mouvement a débuté sur Facebook, donc par la jeunesse. Le dimanche 20 février, la première manifestation du mouvement a eu lieu. L’idée s’est rapidement répandue dans les plusieurs villes et villages, donnant ainsi au mouvement une diversité politique et intellectuelle. Le Mouvement compte beaucoup d’étudiants au chômage mais aussi des employés, des travailleurs, des avocats, médecins, des ingénieurs, des anciens parlementaires. Tous les âges sont représentés et les femmes y ont aussi leur place.
Comment le Mouvement est-il organisé ? Y’a-t-il des chefs ? Comment sont-ils choisis ? Comment communiquez-vous entre membres ?
Avant toute manifestation, les membres du Mouvement se réunissent pour l’organiser. Le Mouvement fonctionne avec des antennes dans les villes marocaines. Ces antennes sont indépendantes et prennent leurs décisions de leur côté, par le biais d’un coordinateur général qui s’emploie à communiquer avec les autres “branches” du Mouvement. Chaque antenne se compose d’un groupe de comité : – le comité de l’information et de la communication : son rôle est de communiquer avec la presse et les sites web pour leur fournir de l’information sur les activités du Mouvement et organiser la contre-attaque médiatique. Ce comité est aussi chargé de clarifier les objectifs du Mouvement et communique avec les citoyens. Très actifs en ligne, notamment via les réseaux sociaux, les membres de ce comité prennent les photos et les vidéos des manifestations et des accroches avec la police. – la commission des logos et des slogans : c’est un comité créatif, chargé de rédiger les slogans et des chansons. Ce sont ses membres qui lancent les cris des manifestants. – le comité d’organisation : sa mission consiste à maintenir la discipline dans les manifestations et de s’assurer qu’elles suivent bien le parcours établi. Les membres de ce comité font parfois des “chaînes humaines” pour protéger les vitrines des magasins et des banques. Par ailleurs, le Mouvement de la ville de Fès dispose d’un comité juridique, composé d’avocats, pour défendre devant les tribunaux les membres arrêtés. Chacun est libre de rejoindre l’antenne locale du Mouvement du 20 février, en fonction de ce qu’il peut lui apporter. Les chefs ne sont pas forcément choisis par voie électorale et chaque antenne s’organise comme bon lui semble. En plus des moyens de communication “classique” – j’entends le téléphone portable – Internet joue évidemment un grand rôle dans notre organisation : Facebook, Youtube, les messageries, etc, nous permettent de communiquer les uns avec les autres, d’échanger des documents, des vidéos.
Pourquoi avoir boycotté la Commission Menouni, chargée en mars 2011 de réviser la Constitution suite aux protestations ?
Le Mouvement du 20 février a vivement appelé les Marocains à un boycott car la commission Menouni a été formée par l’Etat, contrairement à ce que les manifestants souhaitaient. Ceux-ci appelaient à la création d’une commission populaire, composé de personnalités qualifiées connues pour leur intégrité et crédibles, choisies via un vote des citoyens.
Trouvez-vous que les réformes et la nouvelle constitution, adoptée par référendum en juillet 2011, répondent de manière adéquate aux revendications portées par le Mouvement du 20 février ?
La nouvelle Constitution apporte des éléments positifs, tels que la démarcation de la langue amazighe et certains pouvoirs confiés au Premier ministre, qui devient ainsi le “président du gouvernement”. Mais toute expression ou manifestation contraire au discours officiel de l’Etat reste réprimée. Pendant la campagne électorale et les dernières élections législatives [qui se sont tenues fin novembre], le ministère de l’Intérieur a enquêté sur des dizaines de camarades du Mouvement parce qu’ils ont appelés les citoyens à boycotter le scrutin.
Pourquoi avoir appelé au boycott des législatives ? Il y a plusieurs raisons : la première est que cette élection était liée à la nouvelle Constitution, qui ne respecte pas la volonté de nombreux citoyens. Ensuite, les manifestants ont exigé la démission du gouvernement et la formation d’un gouvernement provisoire pour préparer des élections indépendantes du ministère de l’Intérieur, responsable de la répression et la campagne électorale actuelle. En vain.
Quelle est actuellement l’attitude de la police à l’égard du Mouvement du 20 février ?
Le vrai rôle de la police est de protéger le citoyen. Mais ici, les commissariats de police reçoivent leurs ordres du ministère de l’Intérieur et beaucoup de policiers solidaires du Mouvement ne peuvent l’exprimer. Il y a quelques mois, un groupe d’officiers a créé une page Facebook appelant à la création d’une direction de la police indépendante du ministère de l’Intérieur.
Quelles sont vos revendications aujourd’hui ?
Les mêmes qu’à la création de notre mouvement : poursuivre en justice les personnes impliquées dans la corruption financière et administrative, une nouvelle Constitution populaire, des mesures pour combattre le chômage, des augmentations de salaire.
Le Mouvement du 20 février remet en cause la Charte nationale d’Education. Pourquoi ? Que souhaiteriez vous mettre en place à la place ?
L’éducation au Maroc souffre de problèmes complexes et cette Charte n’a pas donné de bons résultats, bien que le budget alloué à l’Education représente près de 20 % du budget global. Seulement 85 % des enfants vont à l’école primaire, 45% font un cycle secondaire pour seulement 10% de bacheliers. Cette situation résulte d’un certain nombre de facteurs, notamment la mauvaise qualité des programmes, le manque de structures dans les écoles de formation des enseignants. Mais le plus importants de ces facteurs, c’est l’absence d’une volonté réelle de développer l’éducation au Maroc. Le système éducatif fait partie de la politique publique et ne peut être isolé. Développer l’école est indissociable de l’adoption de la démocratie, qui donne à toute personne le droit au savoir, qui permettrait d’améliorer les conditions de vie des enseignants – en augmentant leur salaire par exemple. Il faut réformer le système pour permettre aux élèves de réussir, de trouver ensuite un emploi. Aujourd’hui, ils voient leurs aînés diplômés errer dans les cafés, sans travail.
Avez-vous des revendications culturelles (et/ou cinématographiques) ?
Franchement, l’Etat a encouragé le Centre Cinématographique Marocain. Tous les artistes ne peuvent bénéficier de ces services. Il est important d’encourager les jeunes réalisateurs parce qu’ils rencontrent de nombreuses difficultés pour obtenir des soutiens, de même que les jeunes associations cinématographiques ou culturelles qui sont contraintes d’arrêter rapidement leurs activités.
Comment s’organise la répression de la police ?
Les protestations sont soumises à la violence. La police charge les manifestants puis se retire et souvent des délinquants, qu’on appelle les “Baltajis”, les attaquent aussi.
Avez-vous été arrêté ou battu ? Quelles étaient les consignes pour les membres du Mouvement du 20 février qui étaient arrêtés ?
Je n’ai jamais été arrêté jusqu’ici, mais j’ai été interrogé à l’aéroport de Rabat quand je partais pour la France ou les Pays-Bas. La police a arrêté un grand nombre de membres du mouvement depuis sa création. Certains ont été interrogés puis libérés ; d’autres ont été poursuivis en justice. Pendant les législatives, la police a étendu la campagne d’arrestations. Le Mouvement tient à rappeler que ses membres respectent la loi et ne souhaitent pas nuire à la sécurité publique. Les manifestations pacifiques sont légales et légitimes. Ça met les autorités dans une position embarrassante car elles n’ont pas de preuves pour condamner les personnes qu’elles arrêtent.
Comment les jeunes du 20 février souhaitent-ils s’investir au-delà de la contestation et de la dénonciation ? Comment concrètement pourraient-ils participer à la mise en place de leurs propres propositions ?
Le Mouvement a de nombreuses revendications et compte dans ses rangs de nombreuses compétences, y compris intellectuelles et politiques. Si les conditions de la démocratie sont réunies, si l’Etat ouvre un véritable dialogue, nous avons des propositions.
Comment allez-vous continuer à porter vos revendications ? Par quels biais ?
[En juin dernier,] beaucoup de membres craignaient pour l’avenir du Mouvement après le référendum sur la Constitution, qui s’est déroulé le 1er juillet. Certains journaux d’extrême-droite annonçaient la fin du Mouvement après la délivrance que devait apporter la nouvelle Constitution. J’ai écrit un article, publié dans plusieurs journaux électroniques, pour inviter les citoyens à boycotter le référendum constitutionnel, et pour expliquer que de nouvelles manifestations de grande envergure auraient lieu après. Ça a été le cas ! Tant que les exigences réelles n’auront pas été entendues, le Mouvement continuera. L’important, pour moi, c’est que le Mouvement continue. Il a été établi sur les exigences, les objectifs légitimes du peuple. Aujourd’hui, il est plus fort qu’hier. S’il y a une forte abstention, l’Etat aura perdu son pari et les protestations se poursuivront car le peuple marocain n’a plus confiance en son Parlement. Le peuple sait que le vrai Parlement est la place au centre de la ville où les manifestants convergent et je suis personnellement convaincu que la protestation est le moyen le plus puissant pour que le peuple atteigne ses objectifs. Nous continuerons à manifester après le scrutin, notamment les week-ends.
Comment le mouvement est-il perçu au Maroc ? Vos amis et votre famille savent-ils que vous en faites partie ? Quelle est l’attitude de vos aînés vis-à-vis de votre engagement politique ?
Casablanca a déjà rassemblé plusieurs fois 40 000 personnes lors des manifestations. La ville de Tanger a vu 200 000 personnes manifester une fois. Plusieurs autres villes répondent fortement aux appels à la protestation, ce qui est très révélateur de la confiance des citoyens dans le Mouvement puisqu’aucun grand parti politique au Maroc n’est parvenu à mobiliser autant. Les Marocains ne font plus confiance aux partis qui participent au jeu politique et pour s’en affranchir, il faut passer par la rue. Au début du Mouvement, j’ai appelé mes amis et connaissances à se joindre à la vague de protestation. Tout le monde sait que je suis un membre du Mouvement et tout le monde respecte mon choix. Je suis politiquement à gauche, mais je reste indépendant et seule la conviction personnelle me guide.
Certaines associations, partis politiques minoritaires et personnalités publiques marocaines soutiennent le Mouvement du 20 février. Que diriez-vous de l’attitude des médias marocains à l’égard du Mouvement ?
Le Mouvement est tout de même soutenu par plusieurs partis politiques (La Voie Démocratique, L’avant-garde démocratique socialiste, la Gauche socialiste), des politiciens indépendants, par le Club des Avocats, des artistes, des hommes d’affaires, des journalistes. Certains journaux de gauche, le journal du parti “Voie démocratique” et quelques journaux indépendants, notamment en ligne, nous soutiennent. Ce sont les journaux plus à droite qui lutte contre nous. Ils créent des rumeurs et publient des mensonges à notre égard

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